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Amis du laboratoire Arago
28 mai 2020

29-5-2020: QUESTIONS-RÉPONSES 2020: L'empreinte pressive humaine sur l'environnement et le climat....


Question :
L'empreinte pressive humaine sur l'environnement et le climat d'une part et la concentration humaine dans les mégapoles d'autre part ont-elles une influence sur le monde microbien ?

Réponse par :
Fabien Joux, Enseignant-Chercheur à Sorbonne Université et Directeur du Laboratoire d’Ecologie Microbienne à l’Observatoire Océanologique de Banyuls

Le monde microbien (bactéries, virus, champignons, microalgues, …) se caractérise par un nombre de cellules très important du fait de leur petite taille (ex. 1 milliard de bactéries dans 1 litre d’eau de mer), par une très grande diversité d’espèces (ex. 1 million d’espèces de bactéries par gramme de sol), mais aussi par une extraordinaire diversité de modes de vie et de niches écologiques. Grâce à leur activités, les microorganismes soutiennent l’existence de toutes les formes de vie trophiques supérieures sur Terre. Dans l’Anthropocène  dans laquelle nous vivons actuellement, le changement climatique affecte la plupart de la vie sur Terre. Pour comprendre comment sera fait notre futur, il est essentiel d’intégrer les connaissances de la réponse de cette « majorité invisible » que constitue le monde microbien (Cavicchioli et al., 2019).


Les déséquilibres du milieu, engendrés par les activités anthropiques, influent sur l’organisation des communautés microbiennes et conditionnent l’évolution des traits de virulence, de tolérance, de résistance notamment aux antibiotiques, et finalement d’émergence de certains pathogènes. La diffusion de l’antibiorésistance (ATRB) constitue aujourd’hui une menace majeure à la fois en santé humaine et animale. A l’horizon 2050, l’ATBR pourrait devenir l’une des principales causes de mortalité humaine. Cette résistance aux antibiotiques résulte en grande partie de l’utilisation massive d’antibiotiques dans les traitements humains ou animaux et à leur dissémination dans l’environnement. Elle pourrait également être favorisée par des températures plus élevées qui facilitent le transfert horizontal d'éléments génétiques mobiles de résistance (MacFadden et al., 2018).


Un autre exemple frappant et ô combien d’actualité : les risques épidémiques, voir pandémiques, qui menacent les hommes et les animaux (zoonoses) mais aussi les végétaux (épiphytie). On constate une augmentation de ce risque épidémique depuis 50 ans. Une synthèse récente réalisée par la Fondation de la Recherche en Biodiversité (FRB, 2020) nous éclaire sur les conséquences de l’empreinte pressive de l’homme sur le risque épidémique. Plusieurs constats sont faits :

(1) l’accroissement du nombre d’épidémies d’origine zoonotique peut, pour partie, s’expliquer par la multiplication des contacts entre les humains et la faune sauvage,

(2) les changements environnementaux globaux, la perte de biodiversité et des services de régulation associés contribuent à l’émergence, ou à l’augmentation, de la prévalence de maladies infectieuses,

(3) le développement des infrastructures humaines, et notamment des voies de communication, agit comme facilitateur de zoonoses et contribue à les transformer en épidémies et pandémies,

(4) le changement climatique constitue un accélérateur des zoonoses, notamment lorsque celles-ci mettent en jeu des vecteurs, constitués d’arthropodes hématophages (moustiques, tiques, poux, punaises) dont l’aire de distribution est modifiée.


Concernant l’émergence d’espèces pathogènes ou toxiques, on constate en milieu marin un nombre croissant de pathologies microbiennes liées à des espèces de Vibrio (bactéries) dans les productions aquacoles marines. De même, on observe une augmentation de la fréquence, de l'intensité et de la durée des proliférations de cyanobactéries dans de nombreux lacs, réservoirs et estuaires eutrophes. Les cyanobactéries produisent une variété de neurotoxines, hépatotoxines et dermatoxines dangereuses pour l’homme et la faune naturelle et menacent l'utilisation des eaux à des fins récréatives, la production d'eau potable, l’irrigation agricole et la pêche. Des preuves de plus en plus concrètes indiquent que ces phénomènes sont liés au réchauffement et aux pollutions affectant les milieux aquatiques.


Sur le plan écologique, on observe également des modifications dans la composition des communautés microbiennes en réponse au changement climatique. Ainsi, la réduction rapide de la banquise dans l’Océan Arctique augmente globalement l’activité de production primaire du phytoplancton en facilitant la pénétration de la lumière, mais conduit également à des périodes appauvries en éléments nutritifs avec l’apparition d’espèces de microalgues de petite taille plus adaptées à ces conditions. D’autres études ont montré que l’acidification des océans, liés à l’excès de CO2, peut affecter la formation de la carapace de calcite présente chez certaines microalgues comme Emiliana huxleyi dont les efflorescences peuvent s'étendre sur de vastes surfaces. Toutes ces modifications ont des conséquences importantes sur les réseaux trophiques et le fonctionnement global des écosystèmes marins.
Devant toutes ces menaces, le monde microbien peut également nous apporter des solutions avec la découverte de nouvelles molécules ayant des activités antimicrobiennes, mais aussi en utilisant les capacités métaboliques des microorganismes afin de stocker par des techniques de géo-ingénierie l’excédent des gaz à effet de serre (CO2, CH4, NOx…) émis par les activités anthropiques.


L’infiniment petit est donc à regarder de très près lorsque des bouleversements globaux nous affectent. Notre avenir écologique et sanitaire en dépend.

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